Par Owen Charters
Tous les jours, en route vers le bureau, je passe devant un bloc d’appartements. Il n’a rien de particulier. Il y a beaucoup d’espaces verts.
En fait, ce bloc fait partie d’un complexe d’appartements dans un décor de parc. Le secteur est appelé Crescent Town. Notre Repaire jeunesse de West Scarborough se trouve à la limite de Crescent Town.
Fait intéressant : L’acteur Kiefer Sutherland y a grandi. Ses parents n’avaient pas beaucoup de sous à l’époque, étant acteurs (mais ils s’en sont très bien sortis au final!).
Ces blocs d’appartements sont apparus en période d’après-guerre, et on en retrouve un peu partout au Canada. À Toronto, ces immeubles sont nombreux—près de 1500—et la plupart d’entre eux sont situés en banlieue. Ils sont vétustes. Ils nécessitent des réparations. Leurs systèmes sont inefficaces.
Qu’ont-ils de particulier? Ils sont discrets, anodins. J’ai passé les deux premières années de ma vie dans l’un d’eux, dans le quartier Jane and Finch à Toronto. Ils devaient être des emblèmes de la vie moderne. Mais ils ne le sont plus—ils représentent maintenant une façon de vivre complètement différente.
Les poches de pauvretés sont nombreuses au Canada, et ce qui est le plus étonnant, c’est qu’elles passent inaperçues. Quand on pense à la pauvreté, on imagine des maisons délabrées, de vieux véhicules qui trônent dans l’entrée. Des quartiers négligés. Mais ce n’est pas le vrai visage de la pauvreté au Canada, c’est plutôt une vision hollywoodienne de la problématique.
La pauvreté, elle se trouve dans des immeubles de logements comme ceux de Crescent Town. J’ai déjà fait du porte-à-porte pour un politicien fédéral dans Thorncliffe Park, un quartier densément peuplé de Toronto où ces immeubles sont présents en grand nombre. Les visages des gens qui répondaient aux portes de ces appartements étaient à l’image de la pauvreté des temps modernes au Canada. Polis. Souvent des femmes. Pour la plupart, des nouveaux arrivants. Pas très enthousiastes à l’idée d’ouvrir la porte à quelqu’un qui ressemble à un représentant du gouvernement. Et très souvent, un chiffon dans une main et du nettoyant dans l’autre – les appartements étaient pour la plupart impeccablement propres. Et plein de vie – très souvent, on pouvait y voir plus d’un visage apparaître dans le châssis.
Ils n’ont pas la vie facile. Ces appartements sont situés aux limites du territoire desservi par le transport en commun. Les infrastructures sont absentes ou insuffisantes. Et pour l’ensemble de la Toronto Community Housing(à qui appartiennent un grand nombre de ces immeubles), le revenu familial moyen est de 16 000$. Mettons ce nombre en perspective : le seuil de faible revenu est issu du calcul du revenu nécessaire pour une famille d’une certaine taille. Si son revenu chute sous ce seuil, cette famille pourra difficilement subvenir à ses besoins de base – se loger, se nourrir, etc. Le seuil de pauvreté pour une famille de quatre est de 45 700$.
Et le phénomène est amplifié par le fait que Toronto crée des quartiers pauvres qui sont de plus en plus isolés du reste de la ville. Dans un article de Centraide intitulé A Tale of Two Torontos, on peut lire qu’à Toronto, « en 1980, il n’y avait que cinq quartiers à très faible revenu et en 2015, il y en avait 88. » Les 13 quartiers hautement prioritaires de Toronto sont caractérisés par une forte concentration d’immeubles de logements datant de la période d’après-guerre.
Malheureusement, la pauvreté est cachée et c’est ce manque d’intégration au reste de la communauté qui exacerbe les effets de la pauvreté. Nous devons aller dans la direction opposée. Plus d’accès. Plus d’intégration. Plus de soutien. Plus de Repaires jeunesse. Nous devons réduire l’isolement causé par la pauvreté. Kiefer Sutherland joue présentement dans Survivant désigné, et le titre illustre probablement mieux sa sortie de Crescent Town que son rôle dans la série.
On a du pain sur la planche.